Questions – réponses pour comprendre l’ensemble de l’œuvre d’Eugène Freyssinet
Les qualités et les défauts du béton ?
Le béton est bon marché, d’une mise en œuvre aisée. Il est capable d’épouser toutes les formes de construction. Voilà pour les qualités. En revanche, il résiste mal aux efforts de traction.
Une poutre horizontale en béton reposant sur deux appuis s’incurve vers le bas sous l’effet de son propre poids et des charges qu’on lui applique. Plus la charge appliquée à la poutre augmente, plus la poutre s’incurve vers le bas, plus la partie inférieure de la poutre s’allonge. Cet allongement s’accompagne de tractions dans le béton de la partie inférieure de la poutre. Le béton résiste mal aux efforts de traction, se fissure, puis se casse. Une poutre en béton pur posée sur deux appuis distants de quelques mètres est incapable de supporter des charges trop importantes. Elle va se rompre si on la charge trop.
C’est pour cette raison que le béton pur n’est pas utilisé pour réaliser des poutres.
Le béton armé ?
Le béton armé a été utilisé à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. L’idée du béton armé est de placer des armatures en acier dans la partie inférieure de notre poutre horizontale, et de demander à l’acier de résister aux efforts de traction. Une poutre en béton armé peut supporter des charges beaucoup plus importantes qu’une poutre en béton pur.
Inconvénient : la poutre en béton armé se fissure sans se rompre dans sa partie inférieure, celle qui est soumise aux efforts de traction.
Eugène Freyssinet a eu l’intuition de l’avenir du béton mais il se défiait du béton armé qui lui paraissait ne pas tirer le meilleur parti des deux éléments qui le composent : le béton et l’acier. C’est cette réticence, pas toujours justifiée puisque le béton armé rend de grands services, qui va lui faire découvrir le béton précontraint en 1928.
Le béton précontraint, sans trop rentrer dans la technique ?
Le béton précontraint est une grande invention qu’Eugène Freyssinet lui-même qualifiait de révolution dans l’art de construire. Cette révolution repose sur une idée simple : puisque le béton résiste mal à la traction, on peut imaginer de le comprimer suffisamment pour qu’en tous points les compressions soient supérieures aux tractions qui se développeront ultérieurement.
Prenons le cas d’une poutre en béton reposant sur deux appuis.
En l’absence de compression, sous l’effet des charges appliquées, elle va se rompre parce que le béton résiste mal aux efforts de traction.
En revanche, si on la comprime suffisamment, les charges qui vont ultérieurement être appliquées sur la poutre vont créer une traction dans la partie inférieure de la poutre plus petite que la compression artificielle qu’on a créée. Au total, il restera une compression qui évitera au béton de se rompre.
Cette poutre, préalablement comprimée, pourra sans dommages supporter des charges qui provoqueraient la rupture d’une poutre en béton pur de même portée et de mêmes dimensions.
Cette compression préalable du béton est la PRÉCONTRAINTE. C’est Eugène Freyssinet qui a employé pour la première fois le terme de précontrainte en 1933 soit cinq ans après l’invention de la précontrainte.
Peut-on expliquer la précontrainte en termes plus littéraires ?
On peut dire que l’invention de la précontrainte a permis à Eugène Freyssinet de mettre à la disposition des constructeurs un matériau nouveau et révolutionnaire, le béton précontraint, qui a des caractéristiques et des performances complètement différentes du béton ou du béton armé.
Pour comprendre la portée de l’invention de la précontrainte et plus généralement de l’œuvre d’Eugène Freyssinet, il suffit de dire que le béton est devenu, en partie grâce à Eugène Freyssinet, le premier des matériaux de construction. L’apport de Freyssinet est donc considérable.
Comment peut-on réaliser cette compression du béton pour obtenir du béton précontraint ?
Plusieurs procédés.
a) La voûte
En réalisant des arcs ou des voûtes en béton, on obtient une compression naturelle du matériau béton, ce qui lui évite de fissurer. Eugène Freyssinet n’a pas inventé la voûte qui est apparue un peu plus de 1000 ans avant J.C. en Grèce et à Babylone. Mais il ne s’est pas privé d’utiliser la voûte pour réaliser des ouvrages en béton et en béton armé au début de sa carrière.
Villeneuve-sur-lot, Saint-Pierre-du-Vauvray, Plougastel, sont des ponts en béton ou en béton armé dont la courbure des arcs assure une compression naturelle, par l’effet de la pesanteur et de la géométrie de l’ouvrage.
b) La précontrainte, c’est-à-dire la compression du béton par des moyens mécaniques
Eugène Freyssinet a inventé trois types de compression du béton :
b-1 La précontrainte par fils adhérents, celle du brevet de base de 1928
Une poutre en béton précontraint par fils adhérents est une poutre dont le béton est coulé dans des coffrages où des fils d’acier tendus ont été disposés. Lorsque le béton est suffisamment durci, on relâche les fils d’acier qui transmettent leur tension au béton par adhérence. On obtient ainsi une poutre en béton précontraint.
C’est une précontrainte par prétension, les fils d’acier étant tendus AVANT coulage du béton.
b-2 La précontrainte par vérin plat (1936)
Le vérin plat est un élément métallique insèré dans l’ouvrage qu’on veut mettre en précontrainte et que l’on gonfle en introduisant un liquide sous pression. Un gonflement de quelques centimètres peut se traduire par des compressions considérables. Le vérin plat permet d’assurer la précontrainte d’ouvrages, par exemple posés sur le sol, malgré le frottement entre sol et béton lequel s’oppose à la contraction de ce dernier.
b-3 La précontrainte par le système cône d’ancrage – vérin de mise en tension (1939)
Des fils d’acier sont disposés à l’intérieur ou à l’extérieur de l’ouvrage déjà réalisé.
Ils sont enfilés dans des cônes d’ancrage qui s’appuient sur la matière même que l’on cherche à comprimer et sont ensuite mis en tension à l’aide des vérins.
Bloqués tendus dans les cônes d’ancrage, ils auront transmis leur tension à l’ouvrage.
Ce procédé est la précontrainte par « post tension », les fils d’acier étant mis en tension APRÈS le durcissement du béton.
Brevet ancrage béton 1939
Le brevet demandé en 1939 ne fut accordé qu’en 1947 du fait de la guerre.
L’histoire des grands ouvrages en béton précontraint depuis 1939 se confond pratiquement avec l’histoire de ce procédé.